Il traversa plus de 37 départements, parcourut des distances impressionnantes à pieds, en stop ou en train, et se rendit dans d’innombrables gendarmeries et hôpitaux pour se plaindre d’agressions imaginaires. Il fut interné plusieurs fois dans des institutions psychiatriques à sa propre demande et fut même diagnostiqué " psychopathe " mais repartit sans prévenir personne. Il séjourna dans plusieurs refuges Emmaüs à travers toute la France et signa tous les registres des foyers où il fut hébergé. Il dépensait son RMI à boire, mélangeant parfois alcool et tranquillisants. Il trouva occasionnellement des petits boulots de ferrailleur ou de maçon.
Heaulme voyagea seul mais rencontra parfois des personnages plus ou moins recommandables, avec qui il se lia durant un temps plus ou moins court.
Trois semaines après son départ de chez lui, en novembre 1984, il rencontra Joseph Molins, un homme influençable et introverti, avec qui il travaillait à la Lorraine T.P., une entreprise de travaux publics. Molins l’invita à partager un verre, puis lui proposa de faire un bout de chemin avec lui, en voiture. Devant une boulangerie, Molins prit en stop une jeune apprentie pâtissière de 17 ans, Lyonnelle Gineste, ce qui ne plut pas à Heaulme. "Pour moi, c’était comme une pute. Elle était sexy dans ses collants noirs".
Lyonnelle Gineste fut retrouvée nue, étranglée et poignardée dans un bois à Montauville, près de Pont-à-Mousson.
Le 29 décembre 1986, près de Metz, Heaulme se rendit dans un café pour boire de l’alcool avec deux compagnons du centre de désintoxication alcoolique de Maizeroy (Moselle), Philippe Elivon et Michel Magniac (décédé en mai 1995). Le lendemain, vers 5h du matin, saouls, ils prirent la voiture de Magniac et croisèrent une jeune femme qui faisait du stop : Annick Maurice, 26 ans, voulait arriver plus rapidement au supermarché où elle travaillait. Heaulme et Elivon la forcèrent à monter dans la voiture. Puis, Heaulme étrangla la jeune femme. Son corps fut retrouvé dans un bois le 27 avril 1987, dissimulé dans un taillis, près d’Ogy, à 10km de Metz et à 3km du centre de désintoxication de Maizeroy.
En avril 1989, Heaulme séjourna au centre psychiatrique de la Fontonne, à Antibes, qui réservait des mobiles homes de séjours thérapeutiques au camping de Port Grimaud, non loin de Saint-Tropez.
Le 5 avril, en fin d’après-midi, Heaulme enleva un jeune garçon Belge de 9 ans, Joris Viville, sur le camping. Le soir, il revint au centre psychiatrique, nerveux et très angoissé, et annonça aux personnel soignant avoir tué quelqu’un à Port-Antibes. On ne le prit pas au sérieux.
Le corps nu de Joris Viville fut retrouvé 17 jours plus tard, caché derrière une citerne, sur un tapis de fougères. Il avait été étranglé et poignardé de nombreuses fois avec un tournevis.
Aucun membre du centre ne contacta la police et l’on se retrancha derrière le secret médical…
Heaulme admit par la suite qu’il était sorti du centre avec un infirmier et qu’ils avaient bu de la bière non loin du camping.
Le 14 mai 1989, un dimanche, Heaulme poignarda et égorgea Aline Pérès, une aide-soignante de 49 ans, sur la plage du Moulin-Blanc, près de Brest. Son corps fut découvert par des promeneurs peu de temps après son décès, en fin d’après-midi. Le gendarme qui allait arrêter Heaulme fut chargé de l’affaire. Le maréchal des logis-chef Jean-François Abgrall, de la gendarmerie de Relecq-Kerhuon, eut la vive impression que ce crime brutal et précis était l’œuvre d’un tueur ayant déjà commis d’autres crimes, ayant de l’ "expérience". Mais un meurtre sans raison ni mobile évident, car l’aide-soignante était une femme douce et appréciée de tous.
Abgrall apprit que l’arme du crime était un couteau à lame de fer, sans doute un Opinel.
La plage était très fréquentée à l’heure du meurtre mais malheureusement pas ce coin de la plage. Toutefois, plusieurs témoins contactèrent la gendarmerie. Un homme expliqua qu’il avait vu deux hommes s’approcher de la victime, mais qu’il s’était par la suite retourné pour écouter sa radio. Ce coin de la plage était fréquenté par des toxicomanes et des marginaux, qui furent donc interrogés. Les gendarmes apprirent que de nombreux SDF fréquentaient le centre Emmaüs local. Ils s’y rendirent, mais seulement pour apprendre que la plupart des "communautaires" avaient quitté le centre pour ne pas avoir à faire à la police… Les noms de ces hommes figuraient sur les registres et des avis de recherche furent lancés.
Le 19 juin 1989, Abgrall fut appelé par la gendarmerie de Saint-Clair-sur-l’Elle, dans la Manche : des collègues venaient d’interpeller l’un des marginaux du centre Emmaüs de Brest, un dénommé Francis Heaulme. Ce dernier était très tendu, aux aguets, et lui serra à peine la main. Abgrall ressentit immédiatement une violence à fleur de peau derrière le visage prématurément vieilli de Heaulme. Pourtant, presque immédiatement, pensant qu’Abgrall était un enquêteur de Saint-Lô et non de Brest, Heaulme affirma qu’il avait fait l’Armée, dans les transmissions, à Francfort, et expliqua la technique à utiliser "pour tuer une sentinelle" : en lui donnant un coup de couteau dans le cou, puis le cœur, puis les reins… C’est justement de cette manière qu’Aline Pérès avait été assassinée. Abgrall se demanda si Heaulme ne venait pas tout simplement d’avouer le meurtre de l’aide-soignante. Heaulme ajouta qu’il prenait des "cachets anti-angoisse" qui lui donnaient "des pulsions" : "je vois des coulées de sang sur mes mains". Ce qui ne fit qu'accroître les soupçons d’Abgrall.
Mais Heaulme avait un excellent alibi : à l’heure du meurtre, il était dans le service de cardiologie d’un hôpital de Quimper, à 80km de là, où une infirmière avait pris sa température à l’heure même du meurtre. Abgrall dû donc le relâcher et Heaulme disparu dans la nature.
Intrigué et persuadé de tenir son coupable, Abgrall continua pourtant son enquête avec détermination, contre l’avis de son supérieur. Son commandant, persuadé de la culpabilité d’un autre homme, plus "probable", demanda aux gendarmes de Brest de ne plus enquêter aux côtés d’Abgrall.
Ce dernier se décida malgré tout à trouver un autre SDF avec lequel Heaulme disait avoir passé du temps à Brest avant le meurtre. Il apprit rapidement que Heaulme avait menti au moins sur deux points : il n’avait jamais fait l’armée et l’autre SDF n’avait jamais mis les pieds à la communauté Emmaüs. Bien que la presse n’ait pas révélé avec précision la nature des coups portés à Aline Perès, Heaulme avait décrit exactement le mode opératoire du tueur…
Abgrall se rendit alors à l’hôpital de Quimper pour vérifier l’alibi de Francis Heaulme. Là, il découvrit finalement que lorsqu’un patient était absent, à l’hôpital, l’infirmière de garde notait tout simplement la température du thermomètre posé sur la table de nuit ! L’alibi d’Heaulme était donc sérieusement entamé.
En août, Abgrall se rendit au Service technique de recherches judiciaires de Rosny-sous-Bois et chercha à en savoir plus sur Heaulme et son parcours. On lui apprit que la brigade de recherche d’Avignon cherchait à en savoir plus sur un certain… Francis Heaulme. Abgrall se rendit dans le Vaucluse, où le chef de brigade lui expliqua son affaire : Jean-Joseph Clément, un ancien légionnaire et agriculteur de 60 ans, avait été retrouvé dans les broussailles, le crâne fracassé à coups de pierre, sans pantalon. Le corps était étendu sur les bords de l’Ouvèze, non loin d’un centre Emmaüs. Un meurtre extrêmement violent au bord de l’eau, une communauté Emmaüs, deux points communs troublants. Le chef de brigade expliqua que Heaulme avait été contrôlé par des gendarmes le jour de la découverte du corps, mais avait été laissé en liberté. Il arrivait de Marseille, où il disait avoir été hospitalisé. Après vérification, Abgrall apprit qu’il n’avait plus été aperçu à l’hôpital depuis le matin du 7 août, le jour du meurtre…
Mi-novembre, le chef de brigade d’Avignon re-contacta le gendarme Abgrall : Francis Heaulme avait été contrôlé en Meurthe-et-Moselle et était retenu dans une gendarmerie. Abgrall s’y rendit et arriva dans la nuit. Le chef de brigade d’Avignon interrogea Heaulme, qui nia le meurtre de Jean-Joseph Clément est déclara avoir voyagé dans plusieurs villes, sans que l’on puisse le vérifier. Le chef, lassé et indécis, gêné par le fait que Heaulme était peut-être à l’hôpital de Marseille le 7 août, repartit vers le sud, laissant Abgrall seul avec son suspect. En plein milieu de la nuit, alors que le gendarme l’accompagnait vers la chambre de sûreté, Heaulme lâcha : "Je sais que tu sais, c’est un ‘pépin’, cette histoire" puis ajouta que c’était "la faute du Gaulois". Il alla ensuite se coucher sans rien ajouter de plus.
Abgrall repartit donc en Bretagne, et, vu son manque de résultat (ou plutôt "en dépit de"…) son effectif fut de nouveau réduit. Le gendarme poursuivit malgré tout son enquête, cette fois à la recherche du "Gaulois". Abgrall fit le tour de la France, interrogeant tous les SDF qui avaient été présents au centre Emmaüs de Brest et s’étaient depuis disséminés aux quatre coins du pays.
En juin 1990, un collègue mit la main à Paris sur l’ancien cuisinier de la communauté Emmaüs de Relecq-Kerhuon, un dénommé Didier. Abgrall fit le trajet jusqu’à la capitale. Didier lui apprit qu’Heaulme avait fuit la communauté la veille du meurtre d’Aline Pérès après avoir commis un vol et avoir été découvert. Il expliqua ensuite que lui-même avait passé l’après-midi avec un menuiser d’Emmaüs, un certain Philippe, avec qui il avait bu près de la plage du Moulin-Blanc. Abgrall chercha à savoir si ce Philippe avait déjà été condamné mais n’obtint rien d’intéressant, sauf une photo : le dénommé Philippe, avec ses cheveux longs et sa grosse moustache, ressemblait définitivement à un… Gaulois.
Abgrall utilisa alors le fichier national des personnes disparues afin d’obtenir les dates auxquelles "le Gaulois" aurait pu être contrôlé. Il ne trouva rien et tenta alors la même chose avec Heaulme. A sa grande surprise, le fichier lui présenta une bonne soixantaine de pages prouvant sa bougeotte perpétuelle. En deux mois, il pouvait traverser une dizaine de départements. Ce qui laissait augurer du pire s’il tuait à chaque fois…
"Le Gaulois" était peut-être le seul à connaître le cours des événements sur la plage du Blanc-Moulin, mais il était introuvable et Abgrall ne pouvait qu’attendre. Un changement de hiérarchie et un surcroît de travail l’éloignèrent de son enquête durant presque un an.
Le 7 Mai 1991, Francis Heaulme fit la connaissance de Michel Guillaume, 19 ans, et de sa cousine Laurence Guillaume, 14 ans, à la Foire de mai, non loin de Metz. Après la fête, Laurence repartit chez elle, à Servigny-lès-Sainte-Barbe, en cyclomoteur. Heaulme et Michel la suivirent dans la voiture de ce dernier, "pour lui éclairer la route avec les phares ". Heaulme discuta avec le jeune homme et lui annonça que sa cousine était belle et qu’il "se la ferait bien". Michel Guillaume avoua au vagabond que lui-aussi aurait aimé "sauter" sa cousine. Il était encore vierge, il avait beaucoup bu… Peu avant l'entrée de la localité, ils la rattrapèrent et la renversèrent. Ils la forcèrent à monter dans la voiture et l’emmenèrent 10km plus loin, dans un champ de maïs. Francis Heaulme "piqua" Laurence au cou avec un couteau pour la tenir en respect et ordonna à Guillaume de la violer, mais le jeune homme s’en découvrit incapable. Heaulme emmena alors l’adolescente "plus loin".
Le lendemain un petit garçon de Vigy découvrit le corps de Laurence Guillaume, dénudée et égorgée.
En juillet 1991, Abgrall fut de nouveau contacté par un collègue de Rosny-sous-Bois, qui le prévint que "Le Gaulois" était à Bayonne. Malheureusement, ses supérieurs ne croyaient pas dut tout à la culpabilité de Heaulme et lui ordonnèrent de rester à son bureau.
En décembre de la même année, il apprit que Heaulme se trouvait à Bischwiller, en Alsace, où il travaillait dans une association de réinsertion. Le gendarme devait rapidement clore le "dossier Aline Pérès " et décida de tenter le tout pour le tout. Il se rendit en Alsace avec un collègue et découvrit que Heaulme y vivait avec une femme, Georgette, divorcée, sans enfant, légèrement handicapée, de 5 ans son aîné. Elle lui avait demandé de se désintoxiquer et il s’y était plié de bonnes grâces. Le dimanche, il avait prit l'habitude de l'accompagner à la messe…
Au cours de l’audition, Heaulme avoua avoir menti au sujet de son engagement dans l’Armée et avoir juste eu "l’impression" d’avoir été à la plage "dans ses rêves". Abgrall ne pu rien en tirer de plus.
A son retour en Bretagne, son supérieur de Rennes lui demanda de boucler définitivement le dossier et Abgrall décida de s’y résoudre… après les vacances de Noël.
|
|
Mais le 26 décembre, on lui apprit que "Le Gaulois" avait été arrêté à Bourges et Abgrall s’y précipita. Très nerveux, le vagabond admit rapidement avoir fréquenté la communauté Emmaüs de Relecq-Kerhuon et connaître Heaulme : "il buvait beaucoup et devenait mauvais après". Il ajouta que Heaulme parlait beaucoup des femmes, "voulait toutes les sauter" et "parlait tout seul". Il finit par expliquer que Heaulme et lui avaient bu non loin de la plage. Heaulme était très énervé et s’était dirigé vers "une femme qui bronzait là". "Le Gaulois" l’avait suivi, pensant qu’il allait lui faire du mal. Heaulme avait saisit la femme à la gorge et avait ordonné au "Gaulois" de partir. Apeuré, il avait obéi.
Ce témoignage capital permettait enfin d'accuser Heaulme du meurtre d'Aline Perès.
Dans la nuit du 4 au 5 janvier 1992, Jean Rémy, 65 ans, dépressif après la mort de son épouse, habitant à Amiens, avait l’intention de se rendre au Touquet mais s’était endormi dans le train jusqu’au terminus, à Boulogne-sur-Mer. Il erra sur la grève, déprimé, ne sachant où aller, et rencontra Heaulme. Ils discutèrent un moment puis Heaulme le poignarda.
Le 7 janvier 1992, Abgrall se rendit de nouveau à Bischwiller avec un collègue. Heaulme l’accueillit en lui faisant remarquer qu’il lui avait "laissé passer les fêtes" et qu’il en avait profité pour aller voir la mer…
Il fut conduit au bureau de Strasbourg et le gendarme Abgrall lui demanda de lui raconter son parcours. Heaulme répondit que "cette histoire" le "travaillait" depuis 1989, mais que "à l’époque, (il) était malade, alcoolique et dangereux". Il provoqua de nouveau Abgrall en affirmant aimer les "situations de guerre", les "scènes de combats rapprochés", "le poignard". Il ajouta s’être allongé sur la plage et avoir "rêvé" d’une femme assassinée au couteau la veille du meurtre, puis y être revenu le jour du meurtre. Il accepta de dessiner un croquis, très détaillé, pour préciser sa position.
|
Abgrall invita ensuite Heaulme à déjeuner avec lui et un collègue. Au mess de la gendarmerie, Heaulme expliqua soudainement qu’il avait égorgé Aline Perès et qu’ "elle avait l’air gentille". Revenu dans le bureau d’audition, Abgrall parvint patiemment à le convaincre de se calmer et de tout raconter. Tranquillement, sans réaliser l’horreur de ses actes, le "routard " décrivit comment il avait saisit à la gorge et poignardée l’aide-soignante.
Puis, en attendant de se rendre au parquet de Strasbourg, ils restèrent dans la salle de repos. Là, un officier de police judiciaire locale qui avait déjà rencontré Heaulme et Abgrall en novembre 1989, pour l’interroger sur le meurtre de Jean-Joseph Clément avec le chef de brigade d’Avignon, demanda à Heaulme s’il était également responsable de ce meurtre-là. Heaulme répondit par l’affirmative, ajoutant qu’il avait utilisé "une grosse pierre pour le frapper à la tête". Les enquêteurs, abasourdis, ne purent toutefois rédiger un procès-verbal valable, vu qu’Abgrall n’était mandaté que pour le meurtre d’Aline Perès...
|
Son suspect sous la main (et sous les verrous), Abgrall débuta alors une autre traque : celle de la vérité. Il diffusa au plan national un message évoquant la possibilité que Heaulme soit un tueur en série. Il fut contacté par plusieurs services de police et de gendarmerie qui voulaient plus de renseignements. Abgrall obtint d’un juge un "permis de communiquer" avec Heaulme sur d’autres affaires que celle du meurtre d’Aline Perès, car les demandes étaient nombreuses. Il fut chargé de centraliser ces demandes et d’obtenir d’autres permis pour ses collègues d’autres villes.
Abgrall se rendit à la maison d’arrêt de Brest et demanda à Heaulme de lui expliquer son parcours. Ce dernier lui répondit simplement que 1989 avait été son "année noire"… parce qu’il n’avait pas supprimé le témoin de son crime, le "Gaulois " ! Il répéta que ça n’était "pas de (sa) faute", qu’il avait eu "des pépins" mais qu’il avait changé.
Abgrall lui demanda alors d’établir, par écrit, la liste des "pépins" qu’il avait eu. Heaulme établit une liste d’une quinzaine de "pépins" entre 1987 et 1991, admettant qu’il y en avait d’autres mais qu’il avait "besoin de réfléchir". Abgrall lui demanda alors de lui citer toutes les villes qu’il avait visitées et appréciées, et nota tout.
Quelques jours plus tard, il revint lui parler et Heaulme reprit leur discussion exactement là où elle s’était arrêtée. Il parla d’une femme qu’il avait vu être frappée à coups de poings et de pieds par un homme en treillis en 1989. D’un manouche poignardé par un arabe en 1990. De deux "gamins" qui lui avaient jeté des pierres, "dans l’Est", près d’un talus avec une voie de chemin de fer et qu’il avait vu morts près des wagons en repassant peu après. D’une jeune fille faisant du vélo à Bayonne et ayant sauté du haut des falaises en 1990…
Utilisant l’ordinateur central de la gendarmerie, Abgrall tenta de relier les affaires, de découvrir des noms et des dates mais n’obtint rien. Il s’aperçut que les affaires traitées par la police ne figuraient pas forcement dans les bases de données de la gendarmerie, surtout les faits les plus anciens. Le gendarme utilisa donc un téléphone et un crayon et contacta de nouveau ses collègues enquêteurs. Il apprit que des agressions ou des meurtres avaient bien eu lieu mais les dates et/ou les lieux ne correspondaient pas ; notamment l’histoire du manouche poignardé. Il découvrit par contre que Heaulme était bien à Bayonne durant l’été 1990, au cours duquel une jeune fille avait été retrouvée morte au pied d’une falaise. Mais il ne trouva rien sur les deux enfants près de la voie ferrée.
Abgrall pensa qu’il était possible que Heaulme mélangea volontairement plusieurs histoires vécues afin d’éviter que le lien soit fait entre lui et d’autres affaires de meurtres. Il usait de stratagèmes alambiqués, de véritables rébus qu’il fallait décrypter.
De nombreux enquêteurs vinrent interroger Heaulme eux-mêmes, avec plus ou moins de conviction et de bonheur. Heaulme griffonna des croquis précis et fit souvent preuve d’une mémoire surprenante.
Au fil des entretiens, Abgrall enregistra tout et vérifia scrupuleusement tous les dires du tueur. Il comprit ainsi que chaque fois qu’Heaulme allait raconter un meurtre réel, "il dit qu'il met une chemise blanche, un pantalon à pinces et des chaussures disco. Il pense que je vais pas l'accuser parce qu'un tueur ne peut pas être si bien habillé". Il découvrit également qu’il était arrivé à Heaulme de tuer avec un complice : Heaulme fut mis en examen avec un autre vagabond, Didier Gentil, pour le meurtre de Laurent Bureau, un jeune appelé, dont il décrivit en détail le calvaire à des enquêteurs de Périgeux.
En février 1993, à la direction générale de la gendarmerie nationale, une cellule fut spécialement créée pour enquêter sur les crimes probables de Francis Heaulme. Abgrall en reçu la responsabilité et on lui octroya un collègue du centre technique de rapprochement de l'Institut de recherches criminelles de la gendarmerie nationale de Rosny-sous-Bois, spécifiquement pour le seconder.
Abgrall et son collègue accomplirent un long travail de fourmi, recoupant les affaires, cherchant les points communs et les différences. L'ordinateur de la gendarmerie croisa des centaines d'informations. Les amendes SNCF que Heaulme n'avait jamais payées, les plaintes incessantes qu'il déposait, ses demandes auprès des organismes sociaux, la seule condamnation dont il ait écopé (à Besançon, en 1989. Heaulme avait volé 50 francs à une vieille dame. Sans que l’on sache pourquoi, il s'était rendu et avait passé 38 jours de prison).
Abgrall, patient, attentif à chaque mot, soignant son vocabulaire (ne pas parler de meurtre ni de sexe), revint voir Heaulme seul ou avec d’autres enquêteurs et le laissa de nouveau parler, mais en le corrigeant lorsqu’il se trompait, en l’empêtrant dans ses contradictions.
Heaulme avoua plusieurs meurtres avec un luxe de détails, mais en mélangeant toujours les endroits, en modifiant certains éléments. Ainsi, il expliqua en mai 1993 : "Un jour, entre Dunkerque et Cherbourg, j'ai étranglé un arbre. J’ai serré, il est devenu mou. C’était un jeune." Il situa la scène en 1989 et indiqua avoir laissé le corps "à 12 km de la mer". Abgrall, ne trouvant rien dans les archives du nord de la France, chercha dans le fichier sommaire de la gendarmerie. Un cadavre d'enfant avait bien été découvert "à 12 km d'une plage", mais dans le Sud, à Port-Grimaud : le petit Joris Viville. Par contre, Heaulme avait bien tué à Boulogne, mais c'était Jean Rémy, 65 ans, en janvier 1992, juste avant d’être arrêté !
Si certains enquêteurs furent très intéressés par les aveux de Heaulme, d’autres les traitèrent avec dédain et, lorsqu’il eut l’intuition que Heaulme était bien responsable, Abgrall du parfois les convaincre. Ainsi, le collègue d’Abgrall remarqua une affaire de meurtre en Alsace datant de mai 1991, celui de Laurence Guillaume. Le gendarme se rendit à Metz, où on lui indiqua fermement que Heaulme n’était pas le coupable. Après vérification, Abgrall découvrit que les dates d’hospitalisations de Heaulme ne correspondaient pas avec celles données par les témoins interrogés pour son alibi, ce qui n’avait pas empêché les gendarmes de conclure que le vagabond n’avait rien à voir avec le meurtre de la jeune Laurence Guillaume. L’un des enquêteurs vint donc interroger Heaulme, sans conviction, et conclut qu’il racontait "n’importe quoi". Il se laissa malgré tout persuader de revenir un mois plus tard. Cette fois-ci, Heaulme décrivit en détail le meurtre de Laurence Guillaume, mais en accusant son cousin (qu’il appela "Dominique") d’en être l’auteur. Finalement, il admit avoir poignardé l’adolescente.
Fin 1993, Heaulme avoua le meurtre de Joris Viville. En prison, il fut menacé par les autres détenus qui, traditionnellement, détestent les assassins d’enfant. Heaulme se renferma et refusa de parler. Son défenseur "un grand avocat parisien qui le défend gratuitement" s’empressa d’accuser les gendarmes de manipulation… Devant la pression médiatique, les supérieurs d’Abgrall, craignant une mauvaise publicité, décidèrent de mettre fin à la cellule spéciale. Elle dura encore six mois, le temps de boucler encore quelques enquêtes (mais pas toutes), puis disparut pour de bon.
Le premier procès, pour le meurtre d’Aline Perès, s’ouvrit le 28 janvier 1994 devant la cour d'assises du Finistère, à Quimper. L’accusation expliqua que lors de son interrogatoire, Heaulme avait d'abord prétendu qu'il ne se trouvait pas, ce jour-là, aux environs de la plage. Puis, en fait, qu'il y était. Que, la veille, il avait rêvé de ce crime, mais qu'il ne l'avait pas accompli. Plus tard, il s’était mis à raconter le meurtre, à la façon d'un spectateur, à la troisième personne. Enfin, il avait employé le "je": "J'étais très énervé. Je me suis avancé vers la femme. (...) Elle a vu ce qui allait se passer. Elle a vu le couteau. Je me suis adressé à elle et lui ai dit: "Je m'appelle Heaulme Francis, j'ai un problème, je veux vous parler." Je lui ai également dit: "J'ai rêvé que vous alliez être poignardée." La femme avait peur, elle a crié." Il avait expliqué qu'il avait "vu rouge" et qu'il avait frappé.
L’avocat de Heaulme expliqua que son client était faible et influençable et qu’il avait tout avoué sous la pression. Il insinua que le véritable coupable devait être "Le Gaulois", qui avait du raconter le meurtre à Francis Heaulme.
Les jurés ne se laissèrent pas totalement convaincre mais Heaulme échappa malgré tout à la perpétuité. Le 29 janvier, il fut condamné à 20 ans de réclusion criminelle assortis d'une période de sûreté des deux tiers.
En juin 1994, Abgrall revit Heaulme pour la dernière fois. La cellule spéciale venant d’atteindre sa conclusion, on lui avait demandé de mettre un terme à son enquête et d’abandonner ses investigations sur les crimes du "routard". Heaulme lui indiqua qu’il voulait être interné dans un centre psychiatrique et non pas emprisonné, insinuant qu’il était fou. Puis, sachant qu’il ne risquait rien puisque leur conversation n’avait aucun cadre juridique, il raconta à Abgrall, en détails, comment était mort le jeune appelé de Périgueux, Laurent Bureau. Il révéla ensuite qu’il avait tué plus d’hommes que de femmes, et le gendarme ne manqua de lui faire remarquer qu’il n’avait avoué le meurtre que d’un seul homme…
Ils en restèrent là et Abgrall du s'avouer avec amertume que Heaulme était sûrement responsable d'autres meurtres irrésolus.
Le 29 septembre 1995, la cour d'assises de la Moselle, à Metz, condamna Francis Heaulme à la réclusion criminelle à perpétuité assortie d'une période de sûreté de 18 ans pour complicité de viol et le meurtre de Laurence Guillaume. Le cousin de Laurence fut condamné à 18 ans de prison.
|
En avril 1997, Heaulme fut jugé devant la cour d'assises de la Dordogne à Périgueux, pour le meurtre de Laurent Bureau, un jeune soldat de 19 ans, en 1986, avec l’un de ses complices, Didier Gentil (le meurtrier de Céline Jourdan, 7 ans, en juillet 1988). Le jeune homme, qui rentrait d’un week-end passé chez ses parents, se rendait au gymnase de Perigueux, où il voulait assister à une compétition sportive (qui avait été annulée), lorsqu’il avait croisé des marginaux, parmi lesquels Heaulme et Gentil. Il avait été torturé et violé durant des heures avant d’avoir le crâne fracassé par un extincteur.
Heaulme avait admit avoir participé au meurtre avec Gentil, puis s’était rétracté. L’accusation expliqua que Gentil avait menti à plusieurs reprises concernant sa prétendue amitié avec Laurent Bureau ; qu’il existait de fortes similitudes entre le "mode opératoire" du meurtre de Céline Jourdan et celui dont Laurent Bureau avait été victime : lien passé autour du cou, défiguration, corps retrouvés presque entièrement dévêtus ; que Francis Heaulme semblait avoir été "spontané et sincère " dans son témoignage comportant des "indications exactes ", lorsqu’il avait admit que Gentil avait tué Laurent Bureau… Selon le procureur, Didier Gentil était "l'initiateur de la barbarie" et Heaulme "son complice actif". L’avocat de la famille de Laurent Bureau soutenu la même thèse, ainsi que l’avocat de Heaulme, qui estima que des "rapports financiers" devaient lier Didier Gentil et Laurent Bureau, et que ce dernier était sans doute l'objet d'un "racket organisé" par Didier Gentil.
Mais ces arguments ne convainquirent pas totalement les jurés et, sans preuves matérielles, dans le doute, Heaulme et Gentil furent acquittés de ce meurtre. Heaulme admit sa surprise, car il était persuadé d’être condamné de nouveau.
|
Fin mai 1997, la cour d'assises du Var, à Draguignan, jugea Francis Heaulme pour le meurtre de Joris Viville, le petit garçon Belge. La mère du petit garçon offrit un témoignage poignant de son calvaire, ce qui ne sembla pas émouvoir Heaulme le moins du monde, puisqu’il continua à accuser son complice d’être le véritable assassin. Mais, lors de la déposition d’un gendarme varois, il reprit froidement ce dernier, en affirmant que le petit garçon avait reçu 83 et non 84 coups de tournevis…
Le 24 mai, les jurés condamnèrent Heaulme à la réclusion criminelle à perpétuité, assortie d'une peine de sûreté de 22 ans. (Le complice de Heaulme, un infirmier présent lors de son procès, n’a pu être confondu et n’a jamais été accusé de quoi que ce soit).
Le 9 septembre 1999, la cour d'assises du Pas-de-Calais, à Saint-Omer, condamna Francis Heaulme à 15 ans de réclusion criminelle pour le meurtre de Jean Rémy, le sexagénaire de Boulogne.
Le 26 novembre 1999, la cour d'assises de la Meurthe-et-Moselle condamna Francis Heaulme à 30 ans de réclusion criminelle pour le meurtre de Lyonelle Gineste. Son complice, José Molins (dénoncé par Francis Heaulme en 1996) fut condamné à 10 ans de réclusion criminelle pour complicité de meurtre.
Début décembre 2001, Francis Heaulme fut jugé devant la cour d'assises de la Moselle, à Metz, avec son complice, Philippe Elivon, pour le meurtre d'Annick Maurice. Au cours de l’instruction, les deux hommes s’étaient rejeté mutuellement la responsabilité du crime avant que Philippe Elivon déclare ne pas y avoir participé. L’accusation expliqua qu’Heaulme avait toujours affirmé avoir participé au meurtre de façon passive, mais avait donné une version différente pour le détail des faits à chacun de ses interrogatoires… Heaulme affirma qu’à l’époque, il prenait des médicaments ("j’étais drogué") et proposa encore une nouvelle version des faits : "c’était un accident".
Un enquêteur de la police judiciaire messine vint détailler l'audition durant laquelle Heaulme avait avoué sa participation. "Francis nous a raconté qu'il était sorti avec Philippe Elivon et Michel Magniac (décédé en mai 1995) pour une virée en ville". "Il nous a expliqué que les trois hommes étaient allés dans un café pour boire de l'alcool". Selon la déposition de Heaulme, "Elivon a fait monter de force une femme dans le véhicule. ll a dit avoir entendu la jeune femme crier". Heaulme avait ensuite accusé Elivon d'avoir rattrapé Annick Maurice qui tentait de s'enfuir avant de l'étrangler.
Ce Réunionnais de 50 ans, est selon les experts "un homme d'intelligence normale, très timide, très inhibé, qui lors du décès de sa mère, a plongé dans l'alcoolisme", un homme "faible de caractère et influençable". Il avait reconnu dans un premier temps avoir assisté à la mort d'Annick Maurice, imputant le meurtre à Heaulme.
L'avocat général reconnu que les preuves manquaient mais que les aveux précis des deux accusés étaient accablants.
Le 8 décembre, la cour d’assises condamna Francis Heaulme à 30 ans de réclusion et Philippe Elivon à 15 ans de réclusion.
Le 18 décembre 2002, Heaulme bénéficia d'un non-lieu pour le meurtre de Jean-Joseph Clément, l’agriculteur retrouvé sur les bords de l'Ouvèze, à Bédarrides (Vaucluse), frappé à mort à coups de pierres en 1989. Francis Heaulme avait avoué le crime en janvier 1992 devant les gendarmes avant de se rétracter. Le juge estima ses aveux "non circonstanciés" et les gendarmes locaux admirent qu'ils avaient abandonné sa piste.
Selon le juge d'instruction, le seul élément qui demeurait dans le dossier, des aveux initiaux de Francis Heaulme rétractés par la suite, n’était pas probant. Il releva dans son ordonnance que toutes les pièces à conviction avaient été perdues par la justice, y compris un pantalon ensanglanté abandonné par le meurtrier. Il souligna également qu'aucun acte d'instruction n'avait été accompli entre 1993 et 2000. Ce qui ne l'empêcha de mettre en cause non pas la justice mais le gendarme Jean-François Abgrall. Le juge expliqua s'interroger sur "les circonstances réelles" de ces aveux et "leur degré de spontanéité"…
Heaulme est aujourd’hui susceptible d'être visé par une nouvelle procédure concernant les meurtres des petits Cyril Beining et Alexandre Beckrich, le 28 septembre 1986 à Montigny-lès-Metz (Moselle), pour lesquels Patrick Dils a purgé quinze ans de prison avant d'être blanchi définitivement le 24 avril 2002. Heaulme a confirmé avoir été présent le jour même près des lieux du crime (il venait d'être embauché dans une entreprise située à 400 mètres des lieux), mais a assuré ne pas avoir tué les deux garçons.
Mais Heaulme avait expliqué, lors d’une audition, avoir vu "deux enfants morts à côté des wagons", non loin d’un talus. Lors du procès durant lequel Dils a été blanchi, deux pêcheurs sont venus témoigner du fait qu’ils avaient reconduit Heaulme chez sa grand-mère, le jour même du double meurtre, les vêtements tachés de sang et qui marchait le long de cette voie ferrée. Heaulme a prétendu avoir passé l'après-midi du 28 septembre avec un ami. L'ami a démenti. Heaulme prétendait connaître un petit chemin qui monte jusqu'aux voies de chemin de fer parce qu'il l'empruntait avec des amis pour aller à la piscine. "C'était un raccourci". Les amis ont démenti. Les enquêteurs ont refait la route. Ils ont établi que "le raccourci [était] un détour". Heaulme est retourné sur les lieux, le soir, en faisant un détour de 4 kilomètres et a été contrôlé par les gendarmes. Il ne s’est pas rendu, ce même jour, à l'hôpital où on devait lui ôter des points de suture.
Heaulme pourrait également être jugé pour les meurtres de deux retraitées, Ghislaine Ponsard et Georgette Manesse, à Charleville-Mézières en juin 1988, ainsi que pour l'assassinat de Sylvie Rossi, 30 ans, en juillet 1989 à Villers-Allerands, dans la Marne. En 1992, lors d’une audition, il a indiqué aux enquêteurs la présence d'un panneau de signalisation qu'ils n'avaient même pas remarqué. Le meurtre de cette serveuse qui l'avait pris en stop et lui aurait fait des "propositions" est le seul sur lequel Francis Heaulme ne soit jamais revenu.
Le cas de Francis Heaulme a été longuement abordé par plusieurs psychiatres et psychologues, parfois pour aboutir à des conclusions contraires.
"Personnalité dysharmonique", "psycho-maniaque", "mégalomane", "mythomane", "timide mais vaniteux", tous les qualificatifs y sont passés. Selon les
experts, il est évident que l'alcool aggrave ses impulsions.
Pour le Dr Jean-Claude Dubouis-Bonnefond, la personnalité de Francis Heaulme est "composite" : "on y trouve des éléments obsessionnels comme le goût du rangement, de la propreté, et des éléments psychotiques".
Il estime qu'il n'existe "ni altération, ni abolition du discernement" chez Francis Heaulme.
Le Dr Michel Dubec estime que le passage à l'acte chez Heaulme est "favorisé par l'absorption d'alcool", mais réfute l'abolition du discernement et se prononce pour sa simple altération. Selon le psychiatre, "le passage à l'acte témoigne plus de la désorganisation de sa personnalité que de sa volonté". La personnalité de Francis Heaulme est tellement dysharmonique (une "dissociation schizophrénique" ou désagrégation de la personnalité, selon la définition du Robert) qu'"il n'est même pas capable de montrer de la perversité au sens propre du terme". "Francis Heaulme est impuissant. Lorsqu'il est en groupe et qu'il y a viol, comme il ne peut pas, il passe à la surcompensation par l'acte meurtrier".
Le responsabilité est certes altérée mais "il ne souffre pas de maladie pathologique et est accessible à une sanction pénale", affirme le Dr Dubec.
Heaulme a compensé son impuissance sexuelle et celle qui ressentait devant l’impossibilité d’empêcher les violences son père par des élans mégalomaniaques, favorisés par sa grande consommation d'alcool. "A un moment donné, il est confronté à son impuissance, si bien qu'il va au stade suivant et c'est l'enchaînement meurtrier".
Plusieurs psychiatres décrivent Francis Heaulme comme étant d'une "intelligence limitée", qui s'apparente, avec un quotient intellectuel évalué à 60, à "une débilité légère". D’autres considèrent que son intelligence est "simplement dans la moyenne". Le gendarme Abgrall doit sûrement considérer qu’il est loin d’être débile…
Le Dr Jacques Henry, qui a expertisé Heaulme à quatre reprises, a insisté sur l’ "excellente intelligence sociale" de Heaulme, qui, "de par sa marginalisation, sa manière de vivre, s’attire la confiance et entre dans l’intimité d’autrui pour le manipuler". "Il est capable de persuader les autres, il s’en vante d’ailleurs en déclarant qu’en les 'regardant dans les yeux' , il y 'arrive toujours' "... "C’est ce qui explique qu ’il y a presque toujours un complice, souvent pour interpréter la partie sexuelle du crime. Ce complice n’est pas n’importe qui, c’est quelqu'un de fragile qui a un point d’identification avec lui".
Les experts soulignent la tendance mythomaniaque de Heaulme. "Je serais bien incapable de démêler le vrai du faux. Il lui arrive de dire n'importe quoi, mais il peut aussi dire la vérité", reconnaît par exemple le Dr Dubec. Par ailleurs, le Dr Dubec qualifie Heaulme de "débile vaniteux" : "une classification qui remonte au 18e siècle" et qui l'amène à se vanter de ses passages à l'acte.
Heaulme a toujours été en mal de reconnaissance. Il s'auto mutilait avec son Opinel et se ruait dans les gendarmeries en prétendant qu'il avait été victime d'une agression. Adolescent, il se tailladait les bras, les jambes et le torse avec des tessons de bouteilles. Une manière d’attirer l’attention, d’exprimer sa souffrance morale.
Enfin, les psychiatres notent également que Heaulme souffre du syndrome de Klinefelter, c'est-à-dire une anomalie chromosomique : la présence d'un gène sexuel X (féminin) supplémentaire. Cet anomalie génétique, qui n'a été diagnostiquée chez Francis Heaulme qu'après son arrestation, en dépit de 130 hospitalisations subies au cours de son errance criminelle, se traduit par une altération de l'identité sexuelle, une atrophie des testicules et, dans certains cas, par une légère débilité.
Très prudents, les experts expliquent toutefois que le syndrome de Klinefelter ne mène pas au passage à l'acte. "Il n'y a aucune corrélation entre crimes, délinquance, violence et Klinefelter".
Experts et enquêteurs ont noté "un blocage quand il s’agit de meurtres d’enfants", parfois des tremblements convulsifs.
Heaulme n’a jamais montré le moindre remord pour ses crimes. Il n’a jamais eu la moindre parole ou pensée pour ses victimes.
"Intelligence limitée" ou pas, c’est un prédateur et un manipulateur qui s’est toujours attaqué à des victimes vulnérables.
Il s’est trouvé des excuses ("j’étais malade, je buvais"), a accusé ses victimes de l’avoir provoqué ("elle était sexy dans ces collants noirs, c'était comme une pute") ou a même menti en affirmant qu'elles l'avaient agressé ("il m'a jeté des pierres").
Il a également mis en cause Jean-François Abgrall, indiquant lors de ses procès qu’il avait parlé "pour lui faire plaisir" ou "sous la pression" du gendarme, mais sans expliquer comment il avait été capable de fournir tant de détails et de faire des croquis aussi précis des lieux des crimes…